
Les chiens de feu
J’ai ouvert l’album photographique de la famille, musée imaginaire et théâtre d’ombres où les figures anonymes peuplent les images de rites et de fantômes. Les photographies s’accumulent en désordre comme les évènements familiaux, les disparus pendant les guerres, les traditionnels mariages et communions, les passions amoureuses, les dimanches à la plage, les témoignages de pays lointains....Et dans le secret des regards, des destins émouvants, pudiques et solitaires.
Le roman des générations s’écrit dans le passage des témoins et le mystère des non-dits. Les photographies, elles, disent autre chose. Elles disent mon existence avant mon existence, dans cette filiation, dans cette masse d’individus plus ou moins anonymes, à qui je dois ma présence au monde. Que leur dois-je d’autre ? La conscience d’être dans une destinée commune ? Une ressemblance ? Une différence ? Ou tout simplement, et enfin, l’acceptation du temps en marche. Ces vies passées, présentes, cohabitent tant bien que mal. On y trouve des correspondances, mais aussi des ruptures, des interrogations, tout ce qui alimente la mémoire, tout ce qui fait “héritage”, avant d’en faire un tri, intime, et de le transmettre à son tour.
J’ai recherché les lieux de l’enfance, comme un doute de leur existence. Je n’ai pas voulu pour autant mesurer la distance parcourue. J’ai simplement recherché cette fragile transparence des souvenirs en me pliant au rituel de la photographie, comme pour marquer le “territoire” de cette mémoire familiale. En arpentant les “décors” de l’album de famille, je me suis surpris à ressentir la magie d’un temps qui n’était ni présent, ni passé, mais les deux confondus. Je prenais conscience en photographiant d’écrire les nouveaux épisodes d’une histoire collective, pour mieux m’y attacher, pour mieux m’en affranchir.
J’acceptais enfin que les photographies les plus importantes étaient celles qui n’étaient pas prises, présentes ou passées. Pour que la part de mystère continue de voiler le fugitif passage des existences.























